jeudi 22 septembre 2011

"Relancer l’économie"

De tous temps l’être humain a souhaité la prospérité et l’abondance. Sauf qu’il n’y a pas si longtemps que ça il n’existait pas encore tous ces millions d’objets parfaitement inutiles. Je n’ai pas la télévision mais j’écoute quand même un peu les nouvelles à la radio. J’entends tout le temps dire « il faut relancer l’économie ». Pour la relancer il faut acheter plus. Mais acheter plus de quoi ?

Vous travaillez précisément pour vous procurer, vous acheter, ces millions de trucs qui ne vous servent à rien, ou plutôt si, qui servent à encombrer d’abord votre esprit, puis vos étagères, à encombrer vos armoires, à encombrer vos appartements, vos salles de bains de produits qui puent et que vous n’arrivez même pas à jetez lorsque ce produit ne vous plaît plus. Mais ça vous donne une bonne raison de vous procurer un nouveau produit qui pue tout autant ou encore plus et que vous n’avez pas résisté à l’envie de vous acheter une nouvelle fiole de « senbon » ou un nouveau pot « aurose » alors qu’il vous en restait encore deux ou trois au trois quarts pleins. Vous n’en n’êtes pas conscient mais tous ces objets et produits qui ne servent à rien occupent de trois manières différentes votre cervelle : ceux qui sont chez vous sont dans votre esprit, ceux qui sont dans la pub, (c’est ce qui vous a fait vous les procurer) sont dans votre esprit, ceux qui sont dans le magasin où vous les avez achetés sont dans votre esprit. Internet est aujourd’hui un gros magasin où on peut tout acheter, sans fin. C’est une belle machine à dépenser. Et ne vous plaigniez pas si vous avez des difficultés à boucler vos fins de mois. Je constate que les gens font sienne cette devise : « Acheter plus pour gagner moins ».

Pratiquer une discipline spirituelle, en l’occurrence zazen, sert à se libérer l’esprit, à le désencombrer. Si le zazen est une pratique qui permet de « mettre en place » sa véritable nature, de se réaliser, cela passe par des décisions pas faciles à prendre mais que le zazen génère, et nourri. « Relancer l’économie » peut être aussi interprété comme faire l’économie d’objets inutiles !

L’être humain est plein de désirs qu’il ne peut satisfaire. On pense souvent à tort que pratiquer le Zen amène à la suppression des désirs. D’abord on ne pratique pas le Zen pour supprimer les désirs. Le désir est un moteur. Le désir d’Eveil est un désir. Sans lui pas d’Eveil. La méditation n’est pas une machine à supprimer les désirs mais à canaliser ces mouvements et pulsions, disons à les assagir. Il existe deux endroits au monde où les désirs n’existent pas : Les jardins potagers et les cimetières. Avez-vous déjà vu des poireaux avec des désirs ? Et les morts alors ? 

mercredi 20 juillet 2011

Le souffle

Le souffle est en même temps matière et esprit. Il est impalpable et n’a pas d’odeur, sauf dans certains cas... On ne peut le voir et pourtant il est là. Le vent, on peut le sentir sur soi. Mais le vent n’est pas le souffle. Le souffle en tant que chiasme matière-esprit a complètement échappé à l’Occident des temps les plus reculés. Ces chercheurs de la vérité qui ont commencé leurs travaux vers 600 avant J. C. tels que Héraclite ou Parménide et tous les philosophes qui ont suivi, souvent de vrais maîtres de sagesse, n’ont jamais abordé le Souffle comme élément avec lequel on peut faire joujou toute une vie. Au-delà de la pensée discursive et de la pensée tout court se trouve la non-pensée. La pensée sait que la non-pensée existe à force qu’on en parle dans le Bouddhisme. Mais pour arriver là où la pensée n’est pas il faut utiliser le souffle. Et là où la pensée n’est pas c’est là que se trouve un trésor.

Je vous propose une petite expérience, à faire en étant assis, debout, couché, peu importe, mais immobile. Après avoir expiré on inspire lentement en se concentrant sur l’air qui en pénétrant effleure la paroi nasale. On peut sentir nettement le contact de l’air à l’intérieur du nez. Lorsque l’air est plus frais on le sent jusqu’au fond de la gorge. Encore plus frais et on le sent qui pénètre dans la trachée. Faites cela deux trois fois de suite en sentant et prenant conscience de l’air qui rentre en soi et qui en sort. Là, vous venez de tourner les regards à l’intérieur de vous-même. Lorsque vous vous êtes concentré sur la sensation de l’air qui pénètre par le nez, vous ne pensiez à rien. Vous veniez de faire l’expérience de la non-pensée. Et du coup, vous veniez de faire une séance de zazen. C’est pas plus compliqué que ça !

jeudi 2 juin 2011

"Chaque jour est un bon jour" (suite)



J’avais écrit lorsque je traitais la phrase d’un kôan du Recueil de la Falaise Verte « Chaque jour est un bon jour » que « la vie est à saisir dans son immédiateté ».
La compilation des kôans s’est faite il y a plusieurs centaines d’années et ils s’adressaient à des bonzes engagés dans une pratique à plein temps de la méditation dans un monastère. Le décalage énorme qu’il y a entre la vie monastique d’alors et celle de la vie d’un laïc de l’époque actuelle peut nous amener à douter de nos capacités à mettre en application aujourd’hui les principes du Zen d’antan. Pourtant dans la phrase « chaque jour est un bon jour » qui ne peut être rapprochée de l’Evangile de Mathieu « A chaque jour suffit sa peine », dans la phrase du kôan il s’agit vraiment de laisser tomber « avant et après » et de ne s’occuper que de « l’ici et maintenant » dans sa pleine conscience. C’est dans l’expérience de la vie quotidienne que réside l’expérience zen, dans cette succession d’instants, dans cette succession d’immédiats, qui changent tout le temps dans une parfaite fluidité, et que l’on ne peut fixer, contrairement à un appareil photo qui lui, arrête le temps. N’appelle-t-on pas d’ailleurs une photo un instantané ?
Les bonzes n’étaient pas seulement engagés dans la pratique de la méditation mais également chaque jour dans de longues heures de travaux de toutes sortes. Le maître et ermite chinois Ch’ing-hung (1272-1352) le rappelle dans un poème :

            Vivre comme un dieu ou un bouddha n’est pas bien difficile
            La situation d’un bonze est bien plus dure
            Toujours épuisé, sans temps de repos
            Si ce n’est pas s’occuper du bois ou de l’eau, restent encore les obligations du temple

Comme je l’ai souvent dit et écrit la réalité de la vie ne se situe pas en zazen mais se trouve par le zazen. Vivre l’instant présent de son quotidien ne peut être que sous-tendu par la pratique du zazen, sans en chercher les bienfaits. Laïc ou bonze, c’est son engagement dans la pratique de la méditation zen qui va induire l’état d’esprit juste, qui va enseigner comment faire pour que l’activité quotidienne, réglée ou non à la milliseconde pour certains, soit une route menant à l’accomplissement de soi. A condition bien évidemment que le Zen soit l’outil qu’on ait choisi pour travailler sur soi. Il existe d’autres outils. Je ne parle que de l’outil que je connais un tant soit peu, le zazen.

Parmi les pratiquants du Zen beaucoup connaissent la phrase du maître chinois Pai-chang (720-814 jap. Hyakujo) : « Un jour sans travailler – un jour sans manger », phrase qu’il prononça lorsqu’on lui cacha ses outils de jardinage, les bonzes de la communauté estimant qu’il était trop vieux pour travailler. Il décida alors de jeûner jusqu’à ce qu’on lui rende ses outils. En les lui enlevant, dans son esprit on l’empêchait de contribuer à la bonne marche du monastère mais surtout on lui enlevait la possibilité de s’absorber dans ce qu’il faisait au moment où il le faisait et ainsi faire de son activité un travail spirituel, une méditation, et donc une occasion d’aller encore plus loin dans sa réalisation.
S’absorber sur ce qu’on fait au moment où on le fait n’est pas la propriété de l’Asie ni inaccessible à l’Occident. C’est un principe Zen universel et intemporel, dont le zazen va insuffler l’esprit.



Portrait de Maître Jyoji en Zazen


Merci à D. A. pour ce portrait de moi assez ressemblant tout compte fait

En elle-même, la connaissance du Dharma, c'est-à-dire les enseignements du Bouddha, est sans valeur si elle n'est accompagnée par la capacité à méditer, accompagnée de la force du Samâdhi.
T. J.



samedi 9 avril 2011

« Chaque jour est un bon jour »



Ce que j’ai à dire dépasse le simple cadre de la connaissance intellectuelle et de l’érudition encyclopédique, mais s’exprime à travers une expérience spirituelle vécue au cours de mes sept années passées au Monastère Zen de Shofuku-ji à Kobé (école Rinzaï) sous la férule de Maître Yamada Mumon, et des centaines de sesshins que j’anime depuis 1975 date de mon retour en France. J’utilise mon savoir intellectuel uniquement pour étayer ce qu’il me semble important d’exprimer. 


Le premier patriarche du Zen en Chine, Bodhidharma, mort autour de l’an 530, a posé les bases du Zen en quatre vers :
Ne dépendre ni des mots ni des écritures
Une transmission indépendante en dehors des doctrines écrites
Montrer directement à chaque homme son esprit originel
Voir dans sa vraie nature et instantanément réaliser sa Nature-de-Bouddha


Le moins respecté de ces quatre vers est le premier : « ne dépendre ni des mots ni des écritures ». Le Zen est peut être « la religion » qui a fait couler le plus d’encre tandis que d’autres religions ont fait couler le sang. Tous les ouvrages, tous les écrits, toutes les publications exprimés par les Maîtres du Zen ne visent qu’à un objectif, amener l’élève, le bonze, le lecteur, à réaliser sa vraie nature, autrement dit à avoir une expérience profonde de lui. Ou d’elle. Et là, la pensée est impuissante pour faire cette expérience de soi.


Pour y arriver, impossible de faire autrement que de laisser tomber sa pensée discursive. Il faut passer par un autre chemin, aller à la recherche d’une autre Voie, celle qui va petit à petit mettre fin à l’agitation mentale, à ralentir les pensées et permettre l’accès à son moi profond : Court-circuiter la pensée en posant ses fesses sur un coussin de méditation et faire zazen.


Tous les Maîtres du Zen n’ont pas laissé d’écrits. Certains, comme le Maître de l’école à laquelle je suis rattaché, Lin-tsi (jap. Rinzaï) n’a rien écrit de son vivant, du moins n’a-t-on aujourd’hui encore retrouvé aucun manuscrit. Seuls ses disciples prenaient des notes et transcrivaient que qu’il disait, que ce soit lors d’instructions collectives, d’exhortations, de faits et gestes.


Un autre maître chinois, Wumen (864-949) est lui devenu célèbre en posant des questions et en y répondant lui-même. Voici le kôan qui figure dans le Recueil de la Falaise Verte :   
- Concernant ce qui s’est passé avant le 15, je ne vous demande rien. Mais qu’en est-il de ce qui va se passer après le 15 ? Que quelqu’un parmi vous s’approche et me réponde. 
Comme personne ne s’avança il formula lui-même la réponse : 
- Chaque jour est un bon jour !  Puis s’en alla. 


Le maître s’est adressé à l’assemblée de bonzes pour donner un enseignement sur le présent, le passé et le futur. 
Quand il dit : 
« En ce qui concerne ce qui s’est passé avant le 15 je ne vous demande rien ! » 
C’est du passé, donc n’en parlons pas. 
« Mais qu’en est-il de ce qui vient après le 15 ? » 
Et bien on n’y est pas encore. Alors n’en parlons pas non plus ! Que reste-t-il alors ? Le présent. Mais que dire du présent, il change tout le temps. Donc n’en parlons pas non plus.
Hier il pleuvait, mais c’était aussi un bon jour. Demain pleuvra-t-il ? Fera-t-il beau ? On n’y est pas encore. Alors le bon jour c’est maintenant, le bon moment c’est sur le champ, au-delà du jugement et de la discrimination. Expérimenter par soi-même revient à comprendre et sentir son être autrement qu’avec les principes ancrés dans sa tête. Ne vous laissez pas aveugler par des illusions suscitées par les journaux et pire, la télévision (il y a des années que j’ai amené mon poste à la déchetterie)
La vie est à saisir dans son immédiateté. 

 



Calligraphe de Mumon Yamada
« Chaque jour est un bon jour »














© Taïkan Jyoji 2011